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La fin de la solidarité locative pour les victimes de violences au sein de leur couple : Une avancée certes mais insuffisante !

La loi ELAN du 23 Novembre 2018 prévoit désormais que le locataire qui quitte le logement, en raison des violences au sein du couple qu'il subit ou des violences qui sont exercées sur un enfant qui réside habituellement avec lui, n'est plus tenu des dettes de loyer et de charges laissées par celui qui s'est maintenu dans le logement.

Cette disposition nouvelle touche tous les couples, qu'ils soient mariés, pacsés ou en concubinage.

Elle est essentielle en ce qu'elle permet de ne pas ajouter ou aggraver la violence économique.

Auparavant, la solidarité continuait à jouer, tant vis-à-vis du locataire que de sa caution, 6 mois à compter du congé en matière de concubinage, jusqu'à l'enregistrement de la rupture du PACS ou encore jusqu'à la transcription du jugement en matière de divorce.

Cette désolidarisation, sans délai, est toutefois soumise à certaines conditions.

En effet, la lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au bailleur doit être accompagnée d'une ordonnance de protection ou d'une condamnation pénale datant de moins de 6 mois contre l'auteur des violences.

Du fait de ces conditions strictes, cette avancée législative semble du coup limitée quant à ses effets.

Chaque année, 219 000 femmes de 18 à 75 ans sont victimes de violences physiques et sexuelles au sein de leur couple. Parmi elles, 19% seulement déclarent avoir déposé une plainte. Ces chiffres n'incluent ni les violences verbales, ni les violences psychologiques, économiques ou administratives.

Or, au regard de l'ampleur du phénomène, le nombre d'ordonnances de protection rendues et celui de condamnations pénales paraissent bien faibles. En effet, selon le Ministère de la justice, en France, seules 1453 ordonnances de protection ont été rendues en 2015 et 17660 condamnations pénales prononcées en 2016.

La victime de violences est donc tributaire de la réponse judiciaire et celle-ci reste très en deça de la réalité des violences au sien du couple. En outre, c'est sans compter qu'obtenir une décision de justice demande de l'énergie, de l'argent et du temps. Le délai moyen en matière d'ordonnance de protection était par exemple de 1,3 mois en 2015.

D'autres conditions moins contraignantes auraient pu être prévues. Il aurait été notamment possible de conditionner la désolidarisation à la production d'un simple dépôt de plainte comme le prévoit la loi en matière de conditions d'attribution de logement et plafonds de ressources.

La question du logement est cruciale en matière de violences au sien du couple, qu'il s'agisse de se protéger et de protéger les enfants ou encore de bénéficier d'un lieu de vie sécurisant. Par ailleurs, logement et fixation de la résidence des enfants sont indéniablement liés.

La loi ALUR de 2014 a permis de solliciter du juge d'instance l'attribution du logement en présence d'un PACS, comme il était possible de le faire en cas de mariage. Toutefois cette procédure reste difficile à mettre en œuvre. Et rien de tel n'est encore aujourd'hui possible pour les concubins qui n'ont aucun recours en cas de bail aux deux noms. Comment quitter le logement partagé avec l'agresseur, en souhaitant conserver la résidence des enfants, quant on connaît la difficulté à se loger ?

Par ailleurs, pourquoi ne pas mettre en œuvre l'éviction de l'auteur de violences pourtant prévue « à tous les stades de la procédure » par le code de procédure pénale ?

Se protéger et faire valoir ses droits reste le parcours de la combattante pour les victimes de violences.

Saluons donc l'avancée prévue par la loi ELAN mais retroussons nos manches, le travail reste énorme !

L'équipe du CIDFF

Notes en bas de page :
1) « Art. 8-2. Loi du 6 Juillet 1989 -Lorsque le conjoint du locataire, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin notoire quitte le logement en raison de violences exercées au sein du couple ou sur un enfant qui réside habituellement avec lui, il en informe le bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, accompagnée de la copie de l'ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales dont il bénéficie et préalablement notifiée à l'autre membre du couple ou de la copie d'une condamnation pénale de ce dernier pour des faits de violences commis à son encontre ou sur un enfant qui réside habituellement avec lui et rendue depuis moins de six mois.
« La solidarité du locataire victime des violences et celle de la personne qui s'est portée caution pour lui prennent fin le lendemain du jour de la première présentation du courrier mentionné au premier alinéa au domicile du bailleur, pour les dettes nées à compter de cette date.
« Le fait pour le locataire auteur des violences de ne pas acquitter son loyer à compter de la date mentionnée au deuxième alinéa est un motif légitime et sérieux au sens du premier alinéa de l'article 15. »

2) Selon l'enquête de victimisation « Cadre de vie et Sécurité » 2012-2018 de l'INSEE et de l'ONDRP.

3) Article L 441-1 du code de la construction et de l'habitation.

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