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Procès de Pontoise : l'urgence de préciser la loi!

Le CIDFF soutien les recommandations du HCE qui lance un appel à changer la loi pour mieux protéger les victimes mineures de viol.

Mardi 26 septembre 2017, le CIDFF de Nanterre découvre la polémique autour du procès d'un homme de 28 ans qui a eu une relation sexuelle avec une petite fille de 11 ans. Le problème c'est qu'il est poursuivi par le parquet pour "atteinte sexuelle sur mineure" et non pour "viol".

L'homme aurait abordé la petite fille à plusieurs reprises à la sortie du collège. Il lui aurait demandé de le suivre, lui imposant une fellation ainsi qu'un rapport par pénétration ; d'abord dans la cage d'escalier de l'immeuble puis chez lui.

Le parquet a présumé que les conditions posées par l'article 222-23 du Code pénal qualifiant le viol n'étaient pas réunies. Aucune « violence, contrainte, menace ou surprise » n'auraient pu être caractérisées par le Parquet et dès lors, l'enfant aurait consenti à avoir ces relations sexuelles.

Par conséquent, la seule qualification pénale possible pour le Parquet était celle de l'atteinte sexuelle sur mineure définie à l'article 227-25 du code pénal comme « le fait par un majeur d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de 15 ans ».

Tout cela illustre combien les mécanismes en jeu dans les agressions sexuelles sont méconnus et à quel point la loi doit être modifiée !

D'abord, la police s'est étonnée de la réaction de la victime qui n'aurait pas su manifester clairement son désaccord. Or l'enfant, sidérée par l'agression, n'était pas à même de se défendre ni de protester. On trouve là les caractéristiques typiques des conséquences du trauma qu'engendre un viol: peur, honte, sidération, dissociation afin de s'anesthésier,... Les changements qu'imposent l'entrée dans l'adolescence et les remaniements tant physiques que psychiques rendent une jeune fille de 11 ans particulièrement vulnérable au désir prédateur d'un agresseur de 28 ans.

Il est ainsi fréquent que les victimes, qu'elles soient mineures comme majeures, ne soient pas en capacité de crier, de se débattre ni même de prononcer le moindre mot. "Céder ne veut pas dire consentir !" disait Gisèle Halimi en 1978. A croire que les mentalités d'hier sont encore bien tenaces...

En outre, les enfants sont par nature inconscients. C'est bien pour cela que le rôle des adultes est de leur rappeler ce qui est bon pour eux. Pour l'enfant, l'adulte détient une autorité légitime. Lorsque ce dernier lui propose quelque chose, l'enfant ne peut pas spontanément imaginer que l'adulte lui veut du mal.

C'est pourquoi, dans un rapport sexuel entre adulte et enfant, il apparait illégitime de présumer d'un consentement. Comme le théorisait Sàndor Ferenczi en 1932, entre l'adulte et l'enfant, il y a "confusion de langue". L'adulte s'adresserait à l'enfant dans une langue de passion, empreint de sexualité inconsciente, là où l'enfant n'entendrait qu'un langage de tendresse, incapable dès lors d'élaborer le contenu des messages reçus. Là se situe la confusion. Non seulement l'enfant et l'adulte ne parlent pas la même langue mais le langage de l'adulte, en dehors de tout acte, peut se révéler traumatisant pour l'enfant. Il semblerait ici que l'on est considéré que l'enfant et l'adulte parlaient bien la même langue.

On voit bien dans cette affaire, la persistance des mécanismes de domination masculine. L'homme de 28 ans - lui-même père d'un enfant de 9 ans - explique que la jeune fille était pubère. Alors que l'âge de la puberté ne fait qu'avancer (à cause des pesticides et autres perturbateurs endocriniens présents dans notre alimentation), va-t-on permettre que des enfants de primaire, de 8/9 ans, aient des rapports sexuels avec des adultes ?

Le deuxième argument avancé par la défense est celui selon lequel la petite fille « n'avait pas froid aux yeux ». Le contrôle du corps et de la sexualité des femmes et des filles est une fois de plus sur le devant de la scène. Et c'est encore à la femme, la jeune fille et l'enfant qu'incombe la responsabilité du viol. Vue comme une « fille facile », l'homme peut donc s'autoriser à faire ce qu'il veut avec une enfant, réduite dès lors au statut d'objet sexuel.

La loi française – contrairement à de nombreux pays[1] - ne prévoit pas d'âge en dessous duquel il existe une présomption irréfragable d'absence de consentement de l'enfant mineur victime d'actes sexuels.

La Cour de cassation a eu à se prononcer sur cette question à maintes reprises. Après avoir d'abord strictement interdit que la violence ou la contrainte puisse se déduire du fait que la victime était mineure de 15 ans [...][2], elle n'a fait que concéder que « l'état de contrainte ou de surprise [puisse résulter] du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés »[3].

La loi du 8 février 2010 est venue ensuite insérer dans le Code pénal l'article 222-22-1 et préciser ainsi que la contrainte morale « peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ». Ces conditions cumulatives ont donc une portée très limitée.

Il est de la responsabilité du législateur de protéger les enfants victimes contre les prédateurs sexuels adultes. En droit, ainsi qu'en fait, aucun enfant ne devrait pouvoir être présumé consentant lorsqu'il a un rapport sexuel avec un adulte.

Car en effet, les mots ont une importance, ils disent le réel. Parler de viol, c'est reconnaitre la violence de l'agression. Quand un rapport sexuel imposé à une petite fille de 11 ans est requalifié en une simple atteinte sexuelle, la vérité est niée, la responsabilité de l'agresseur, atténuée. Or, la société a le devoir, par la voix du Parquet, de rappeler les interdits. Dans l'application de la loi, ce qui est primordial, ce n'est pas tant la sanction, que la portée symbolique de l'esprit de la loi. NON, avoir un rapport sexuel avec une enfant, ce n'est pas une « atteinte sexuelle ». C'est un viol. Peu importe le comportement de l'enfant. La responsabilité doit toujours peser sur l'adulte.

N'est-ce-pas le rôle de la loi de protéger les enfants et de fixer ce qui est interdit pour les adultes ?

Doit-on rappeler à la justice et à ceux qui l'incarnent: "Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir."[4]

Le CIDFF soutien donc les recommandations du HCE qui lance un appel à changer la loi pour mieux protéger les victimes mineures de viol.


[1] En Espagne et aux Etats-Unis, une telle présomption irréfragable de consentement est fixée pour l'enfant mineur de moins de 12 ans ; moins de 14 ans pour l'Allemagne, la Belgique et l'Autriche ; moins de 16 ans pour l'Angleterre et la Suisse.

[2]Crim, 21/10/98 (98-83843) ; Crim, 10/05/01 (00-87659) et Crim, 14/11/01 (01-80865).

[3]Crim, 7/12/05 (05-81316).

[4] Montesquieu, De l'esprit des lois

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